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LEA #11 (janvier-juin 2024)

Rubriques - Mémoires de sciences

Les deux bicentenaires. 1822, année de déchiffrements

David Uystepruyst

Maître de conférences à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France

En 2022, les 200 ans du déchiffrement de la pierre de Rosette ont été célébrés avec diverses expositions grand public, articles et documentaires télévisés. Cette même année 2022, un autre bicentenaire est passé inaperçu : le mémoire de Henri Navier sur les lois du mouvement des fluides.
Si le premier renvoie aux hiéroglyphes et à Jean-François Champollion pour une grande partie de la population, le second ne parle certainement qu’à peu de personnes. Certes le premier est une étape cruciale dans la compréhension d’une civilisation antique fascinante. Mais le second permet d’obtenir l’équation fondamentale permettant de représenter le mouvement d’un fluide et a donc eu et a toujours des répercussions importantes sur le développement industriel.
Le premier marque la lutte acharnée entre les empires français et britanniques encore à leurs apogées. Le second se produit dans cette même rivalité. En effet, George Gabriel Stokes (1819-1903) obtient en 1845, soit 23 ans après Henri Navier (1785-1836), une forme équivalente de l’équation a priori sans connaissance des travaux de ce dernier. L’équation de Navier est désormais connue sous le nom d’équation de Navier-Stokes en référence à cette double paternité éloignée. Cette opposition franco-britannique a été bien moins instrumentalisée que la compréhension des hiéroglyphes.
Cette différence de “re”connaissance renvoie à la ténuité de la présence de la science dans la culture. Bien des épistémologues se sont penchés sur cette question et le lecteur est conseillé de relire les essais de Jean-Marc Lévy-Leblond1, je vais pour ma part me contenter de présenter cette équation de Navier et de ses éléments fondateurs.