Colères citoyennes
Cycle de cinéma
Dans le monde entier, « Sud » comme « Nord », la seconde décennie du 21ème siècle a connu un nouveau type de mouvements et de protestations, initiée en Tunisie en décembre 2010 sous l’auto-nomination de « révolution de la dignité ».
Ont suivi ce soulèvement tunisien : le Sénégal (Y’en a marre, janvier 2011), l’Egypte (janvier-février 2011), la Syrie (mars 2011), l’Espagne (15-M, mai 2011), New-York (Occupy Wall Street, septembre 2011), la République démocratique du Congo (la Lucha, mai 2012, puis Filimbi, mars 2015), la Turquie (parc Gezy et place Taksim, mai 2013), le Burkina-Faso (Le Balai citoyen, août 2013), le Chili (2019-2021), le Liban (2015, puis 2019-2021), la France (Nuit Debout, 2016, puis les Gilets jaunes, 2018-2020), Hong-Kong (mars 2019), l’Algérie (le Hirak, février 2019), l’Iran (2017, 2019, et surtout Femmes, Vie, Liberté en 2022) … Mais aussi l’Ukraine, avec l’occupation de la place Maidan, de novembre 2013 à février 2014, dont l’audace de cette « révolution de la dignité » (expression reprise alors à Kyiv) fut immédiatement punie par l’annexion russe de la Crimée puis par l’occupation et la guerre au Donbass.
Par-delà l’historicité propre de chacune des situations nationales concernées (histoire et nature du pouvoir d’État, situation géopolitique régionale), qui doit être dans chaque cas considérée, cela dessine une conjoncture mondiale, et la nouveauté de ces formes de mobilisation mérite examen.
Programme
3 décembre 2025, Cinéma Le Méliès, 20h00
ESPAGNE : Occupation de la place Puerta del Sol, Madrid, mai 2011
VERS MADRID. THE BURNING BRIGHT
Film de Sylvain George, 2014 (France), 1h46’, N&B et couleur, documentaire. Production & Sylvain George (Paris)
Prix du public « Wild Dreamer » au Subversive Film Festival de Zagreb, 2013
Regard porté sur le mouvement 15-M, à Madrid, place Puerta del Sol, en mai 2011, qui inspira cinq ans plus tard la Nuit Debout française, le film Vers Madrid. The Burning Bright, sous-titré « Un film d’in/actualités », est, d’après son auteur, Sylvain George, un « newsreel expérimental, un poème cinématographique d’actualité ».
« Sylvain George, dans le début de Vers Madrid, filme, au plus près de leurs efforts et de leur énergie neuve, les acteurs du mouvement d’occupation de la place Puerto del Sol, en train de ‘réapprendre’ les termes et les voies de la mobilisation politique, en méfiance de l’Etat, en toute horizontalité, tout occupés à leur exigence de ‘démocracia real ya » (« démocratie réelle maintenant ! ») en vis-à-vis des élections régionales et locales qui se tenaient en Espagne le 22 mai 2011. Il aborde le travail de captation (sons et images : directement en 2011 et en mai 2012 ; indirectement en septembre 2012) et de restitution cinématographique de l’esprit et des formes de ce mouvement, avec le même esprit d’horizontalité et de détachement programmatique : il le regarde pour ce qu’il est, comme l’expression, qui cherche et qui hésite dans une voie nouvelle, de réponses aux redoutables questions de notre contemporain politique, dès lors qu’est disqualifiée toute théorie de l’Histoire, ce qui veut dire toute confusion entre histoire et politique ».
Jacques Lemière, Revue Débordements, 1er décembre 2014
13 janvier 2026, Cinéma Le Méliès, 20h00
UKRAINE : Occupation de la place Maidan, Kiyv, novembre 2013 – février 2014
MAIDAN
Film de Sergeï Loznitsa, 2014 (Ukraine, Pays-Bas), 2h10’, couleur, documentaire. ARP Sélection (Paris).
Sélectionné au Festival de Cannes, 2014
Place Maidan, au centre de Kyiv, de décembre 2013 à février 2014, le grand cinéaste Sergei Loznitsa enregistre, en images et en sons, la mobilisation pour l’indépendance de l’Ukraine suscitée par le refus du président ukrainien pro-russe, Ianoukovytch, de signer un accord d’association avec l’Union européenne : grande audace politique des Ukrainiens, que Poutine punira par l’invasion, le 28 février 2014, puis l’annexion de la Crimée, suivie de la guerre dans le Donbass.
« Je savais que je devais être là et que je devais filmer. J’ai mis de mon côté tous mes autres projets et engagements et je suis venu à Maidan », écrit Loznitsa en mars 2014, à la fin du montage du film.
Avec un grand art du plan-séquence, de la durée et du travail du son, sans commentaire en voix-off, le cinéaste donne, d’une immanquable manière, à voir et à entendre l’événement politique de la Place de l’Indépendance, en ses deux temps : le rassemblement des deux premiers mois, à partir du 21 novembre 2013, populaire et national, musical et déclaratif ; et après la bascule répressive du 16 janvier, la sévère bataille contre la police du ‘gang criminel’ de Ianoukovytch, qui quitte l’Ukraine le 22 février en laissant plus de cent morts sur la place de ‘la révolution de la dignité’ ».
Jacques Lemière, Programme « Dix jours pour l’Ukraine », Citéphilo, novembre 2023
4 février 2026, Cinéma Le Méliès, 20h00
FRANCE : Soulèvement des GILETS JAUNES, novembre 2018 – mars 2020
Soirée dédiée, en hommage, au cinéaste Jean-Pierre Thorn (1947-2025)
GILETS JAUNES DU ROND-POINT DE MONTABON, 8 ET 9 DECEMBRE 2018
Film de Jean-Pierre Thorn, 2019 (France), 25’, couleur, documentaire. Macalube Films & Jean-Pierre Thorn (Paris).
Une équipe de cinéma rencontre, trois semaines après le début de la mobilisation des Gilets Jaunes, celles et ceux qui occupent un rond-point de la Sarthe.
« Ce film court fut réalisé par Jean-Pierre Thorn et ses techniciens, d’accord avec lui, et avec sa productrice, pour se mobiliser le temps d’un week-end, dans l’idée, irrépressible, d’inclure un regard sur ce soulèvement des Gilets Jaunes dans un long-métrage autobiographique alors en fin de tournage (L’ âcre parfum des immortelles, 2019), l’ajoutant aux références que L’ âcre parfum des immortelles a prévu de faire aux mouvements sociaux et politiques auxquels, en France, la vie de Jean-Pierre Thorn, l’homme comme le cinéaste, s’est identifiée.
Tourné trois semaines seulement après le surgissement des Gilets jaunes, sur un rond-point occupé dans la Sarthe, un rond-point parfaitement expressif de ce qui est en jeu, et où les femmes sont spécialement engagées, le film en saisit les acteurs au bon moment : celui où s’aiguise une volonté politique qui commence à élargir la portée de ce soulèvement ».
Jacques Lemière, Intervention aux Journées de sociologie francophone de l’AISLF, Sfax, Tunisie, 2022
LES VOIES JAUNES
Film de Sylvestre Meinzer, 2022 (France), 1h55’, couleur, documentaire. SaNoSi Productions (Paris).
Revêtus d’un gilet jaune, des femmes et des hommes se sont rassemblés pour exprimer leur colère et leur détermination à changer de monde. Sur une ligne qui va du Havre à Marseille, derrière l’image tranquille des paysages, d’une nature sereine et des scènes de la vie ordinaire, des voix d’anonymes apparaissent et se répondent.
« Que reste-t-il des Gilets Jaunes cinq ans après ?
Sylvestre Meinzer prend le sujet par la manche avec une douceur paradoxale. La colère transparaît dans les propos qu’elle recueille mais c’est une colère blanche, assourdie, en large partie résignée. L’effet est d’autant plus palpable que la réalisatrice a choisi le plan-séquence comme vocabulaire essentiel de son film. Des bouts de France saisis pour beaucoup dans le pays périphérique, au moment des manifestations un peu, bien après surtout, une fois le mouvement rentré dans le rang. (…)
C’est parfois l’amertume qui prend le dessus lors de cette plongée anthropologique (la formation de l’autrice) au coeur du mal français, entre Le Havre et Marseille. Mais sous l’amer, on entend la voix de ceux qui font ce cher vieux pays et portent encore l’informe espoir de créer quelque chose d’autre ».
Frédéric Blacher, plateforme Tënk
11 mars 2026, Cinéma Le Méliès, 20h00
FRANCE : ZAD (Zone à défendre) de NOTRE-DAME DES LANDES, à partir du début des années 2010
DIRECT ACTION
Film de Guillaume Cailleau et Ben Russell, 2024 (Allemagne-France), 3h32’, couleur, documentaire. Shellac Films (Paris, Marseille).
Meilleur film à la Berlinale 2024, Grand Prix du Cinéma du Réel 2024
À Notre-Dame-des-Landes, le quotidien d’une des plus importantes communautés d’activistes de France. Grâce à sa radicalité et son organisation, elle dessine les contours d’un monde possible, d’une utopie ou d’une échappatoire à la crise environnementale.
« Ben Russell et Guillaume Cailleau ont filmé dans la ZAD pendant deux ans, entre la commémoration festive des dix ans de l’échec de l’Opération César [Opération César, octobre 2012 – avril 2013, ndlr] et l’action menée par les Soulèvements de la Terre à Sainte-Soline [fin octobre 2022, ndlr], accueillie par un spectacle policier digne d’Apocalypse Now. (…).
À Notre-Dame-des-Landes, il est possible d’observer ce qui se passe lorsqu’une vision jusque-là cantonnée à l’utopie se permet de remplacer l’avenir promis par les tenants de la croissance économique. En quarante et un longs plans qui refusent l’équation trop souvent automatique des discours militants et des formes conventionnelles du cinéma direct, Direct Action nous donne en retour pleinement le temps de l’habiter. »
Antoine Thirion, Festival du Cinéma du réel, Paris, 2024
Archives
1er octobre 2025, Cinéma Le Méliès, 20h00
TUNISIE : « Révolution » de décembre 2010 - janvier 2011
En présence du cinéaste Rafik Omrani
et de Katia Boudoyan, directrice de l’Institut du Monde Arabe - Tourcoing
FALLEGA 2011
Film de Rafik Omrani, 2011 (France, Tunisie), 52’, couleur, documentaire. Majez Production (Tunis).
Prix de la première oeuvre, Festival international de cinéma méditerranéen de Tetouan, Maroc, 2011 – Prix Sembène Ousmane, Festival Miroirs et Cinémas d’Afrique, Marseille, 2011
Faisant partie des premiers documentaires signés par de jeunes réalisateurs, et qui constitueront les premiers films sur la révolution, Fallega 2011 décrit la première occupation de place de ce qui sera ensuite nommé « révolutions arabes », sur la place de la Kasbah à Tunis, au lendemain de la fuite de Ben Ali le 14 janvier 2011. Ce 22 janvier 2011 et les jours suivants, les jeunes que le pouvoir et ses médias ont traités de « hors la loi » (« fallegas ») avaient trois exigences : la dissolution du RCD (le parti au pouvoir sous le régime de Ben Ali), le départ du gouvernement de Mohammed Ghanouchi (premier ministre de Ben Ali) et l’élection d’une assemblée constituante.
« 22 janvier 2011, après une marche de centaines de kilomètres, les jeunes de Menzel Bouzayene, Sidi Bouzid, Regueb, Meknassi et autres régions défavorisées du pays, investissent la Place du Gouvernement à Tunis. Ils entament un sit-in à la principale revendication : dissoudre le RCD et élire une assemblée constituante. C’était l’épopée de la Kasbah 1. Rafik Omrani revient sur ce qui a animé ces nuits passées dans le froid : le courage, l’espoir, ainsi que le regard des Tunisois sur ce qu’on a appelé les ‘Fallegas’. Les rumeurs qui ont circulé dans la presse, l’attaque policière après quelques jours de discrétion et son traitement médiatique ont marqué le jeune réalisateur. « Après le 14 janvier, l’urgence, n’était peut-être pas de filmer, mais d’agir en tant que citoyen. (…) il m’a fallu du temps et du recul pour reconstituer ma conception de cette réalité révolutionnaire, d’élaborer un regard différent » affirme Rafik Omrani, avant d’ajouter : « la vague de désinformation massive a éveillé en moi le besoin de filmer » ».
cinematunisien.com (août 2020)
VOIX DE KASSERINE (VOICES FROM KASSERINE)
Film d’Olfa Lamloum et Michel Tabet, 2017 (Tunisie), 53’, couleur et N&B, documentaire. ONG International Alert & Olfa Lamloum (présidente de l’ONG) (Tunis)
Sélection au London International Documentary Festival, Royaume-Uni, 2017, et au Festival Les Écrans du réel, Liban, 2017
Tunisie, six ans après la chute de Ben Ali. Prolongeant par ce film un travail d’enquêtes et de recherches sur Kasserine entamé en 2012 par l’ONG International Alert, les réalisateurs parcourent le gouvernorat de Kasserine, l’un des fiefs de la révolution de janvier 2011, pour recueillir la parole des habitants de cette région frontalière de l’Algérie.
« Ce documentaire réussit à diagnostiquer les maux d’une zone frontalière avec l’Algérie : contrebande, chômage, précarité, terrorisme, analphabétisme, mauvaise gouvernance de l’eau… Paysans et paysannes, enfants, jeunes vivant de la contrebande, artistes et militants de la société civile racontent leur quotidien, les jours glorieux de la Révolution, et la mémoire confisquée de l’un de leurs héros, Ali Ben Ghedhahem, qui en 1864 a mené une révolte contre l’iniquité fiscale dont les paysans étaient victimes sous Sadok Bey, le roi de Tunis de l’époque. Ils évoquent leurs conditions de vie, leur sentiment de dépossession, leurs ‘martyrs’ oubliés de 2011, leurs attentes et leurs résistances. Mais également leur désenchantement par rapport aux gouvernements successifs post-14 janvier, qui n’ont réussi à résoudre aucun de leurs problèmes ».
Olfa Belhassine, La Presse de Tunisie, avril 2020